Je vous rassure, les Diplopoda n’ont pas à proprement dit du venin ! Ils peuvent sécréter des toxines, mais ils n’ont pas d’organe pour les injecter. Ils sont vénéneux. Les toxines peuvent faire effet seulement dans les muqueuses, dans une plaie ouverte ou encore par ingestion/digestion. Mais ne vous inquiétez pas, les Diplopoda élevés en captivité ne sont généralement pas dangereux et si c’est le cas l’éleveur vous préviendra.
Il faut savoir que tous les venins du règne animal sont différents et complexes. Entre chaque famille, genre, espèce ou même entre chaque individu, le venin n’a pas le même principe actif et la même efficacité, donc on ne peut pas faire de généralité. Un venin peut être inoffensif pour une personne A et mortel pour une personne B, car il n’y a pas seulement l’efficacité du venin qui rentre en jeu mais aussi les réactions allergiques. Le meilleur exemple sont les abeilles (Apis mellifera) : certaines personnes sont extrêmement allergiques et peuvent mourir avec une seule piqûre, alors que d’autres peuvent être piquées plusieurs fois sans avoir de séquelles. C’est la même chose pour les Diplopoda, même si cela est moins connu.
Les Diplopoda ont fait l’objet de quelques études expérimentales qui ont mis en évidence leur effet répulsif sur plusieurs catégories de prédateurs, comme des arthropodes de grande taille (Arachnida, Scolopendromorpha, Insecta, etc.) mais aussi des vertébrés (Amphibia, Lacertilia, Rodentia, etc.). Néanmoins, certains coléoptères ont réussi à détourner le danger des toxines et consomment des diplopodes à priori immangeables.
Les Diplopoda utilisent trois techniques dans un ordre bien défini pour se défendre :
- En premier, quand ils sentent trop de vibrations ou que quelque chose les touche, ils vont commencer à se replier sur eux-mêmes. Et si la menace est persistante, ils vont pratiquer la volvation.
- En deuxième, ils sécréteront des selles qui portent en petites quantités les mêmes toxines que sur le corps. Il y a donc toujours une odeur répulsive. Ce qui permet de se défendre sans utiliser trop de toxines. Ces substances demandent beaucoup d’énergie à produire et peuvent prendre beaucoup de temps à se régénérer, comme vous allez voir plus loin dans ce texte avec les Apheloria corrugata.
- Et en dernier recours, ils vont sécréter les toxines qui sont dans les réserves le long de leurs corps, ou bien, pour certaines espèces, projeter leur substance sur la menace.
Afin d’éviter de dépenser trop de toxines, certains Diplopoda sécrètent leur substance uniquement dans les segments où il y a des points de compression sur le corps. Donc si j’appuie légèrement sur les segments dix à quinze, ce sont uniquement ces segments qui vont se vider de leur toxine. Par contre, si j’appuie fortement au milieu du corps, ce sont plusieurs segments qui vont sécréter la toxine. L’intensité de la défense du diplopode est corrélée à celle de l’agression.
Les toxines des mille-pattes ont aussi des rôles d’antifongique, d’antiseptique et d’antiparasitaire. Mais surtout, ces substances jouent un rôle de communication intra-espèce, comme par exemple lors des rapprochements des sexes ou encore à l’occasion des migrations de masse.
Les Myriapoda sont divisés en quatre classes, mais seules deux sont pourvues de toxines.
- Les Diplopoda
- Les Chilopoda




Contrairement aux Diplopoda qui sont vénéneux, les Chilopoda sont venimeux. Ils ont modifié leur première paire de pattes en un appendice pour injecter le venin, appelé forcipule. Les Scolopendromorpha et les Scutigeromorpha sont sûrement les plus connus de la classe de Chilopoda. Dans ces deux ordres, il existe des espèces très venimeuses qui peuvent entraîner la mort, comme, par exemple, le Scolopendra subspinipes. Mais j’en parlerai peut-être une prochaine fois.
Chez les Diplopodes, il y a sept ordres de mille-pattes vénéneux qui sont répartis dans cinq groupe :
- Iuliformia (quinone)
- Callipodida (phénol)
- Polydesmida (acide cyanhydrique)
- Glomerida (alcaloïde)
- Polyzoniida (terpène)
Iuliformia (quinones) :
Les Iuliformia ou les iules en nom vernaculaire, sont composés par trois ordres :

Quand ces animaux sont stressés ou agressés par une quelconque forme de danger, ils sécrètent un produit. Ce produit peut être brun, orange, jaune ou rouge et il dégage une odeur nauséabonde, plus ou moins forte suivant les espèces. Ces substances tachent la peau. Leurs glandes se situent tout le long du corps, deux glandes par segment diplopode. Chaque pore, aussi appelé ozopore, a un réservoir de toxines.
Certaines espèces peuvent projeter leur substance à distance, comme un Spirobolellidae sp. (nom vernaculaire : spirobolides de Nouvelle-Guinée). Chez l’homme, cette substance provoque des brûlures pouvant persister jusqu’à 15 jours et un état de cécité pendant quelques jours si les toxines touchent l’œil. C’est une des rares espèces de Iuliformia ayant un réel impact sur l’homme. Mais les victimes en sortent toujours indemnes.
Les substances que les Iuliformia produisent sont la quinone, comme beaucoup d’insectes et certains arachnides tels que les opilions. Ce sont plus précisément de l’hydroquinone et de la benzoquinone qui sont propres aux trois ordres. On les appelle Diplopode à quinones. La benzoquinone est la forme active de la toxine et l’hydroquinone est la forme inactive. Cette dernière est sûrement produite pour conserver la benzoquinone. Certaines espèces, comme un Spirostreptidae sp. (nom vernaculaire : spirostrepte du Sénégal) peut produire jusqu’à 1% de son poids corporel.
Test Iuliformia :
J’ai tout de même voulu tester les toxines des mes iules, car on me demande souvent la réelle dangerosité de ces animaux que j’élève en captivité.
Les tests ont été effectués sur une brûlure au pouce de 10 millimètres sur 5 millimètres. La plaie était ouverte et assez sensible. J’ai d’abord testé avec un Benoitolus p. khao sok. C’est une espèce qui sécrète ses toxines lorsqu’elle est sérieusement titillée. En général, elle n’en produit pas énormément, elle ne sent pas mauvais et ne tache presque pas. Après l’avoir frottée sur la plaie, l’équivalent d’une goutte s’est déposé. La douleur est apparue environ 10 secondes plus tard. Une légère douleur a persisté pendant 4 à 6 minutes. Cette douleur ressemblait à une brûlure et était largement supportable.
Puis, j’ai testé sur une espèce qui, selon moi, produisait largement plus de toxines, sentait plus fort et tachait la peau un bon moment. C’est la Millipede sp. “Yellow Zebra”. Il suffit seulement de la porter pour qu’elle sécrète ses toxines. J’ai alors récupéré cette substance et en ai mis l’équivalent de trois à quatre gouttes sur la plaie. La douleur est apparue en moins de 3 secondes. La sensation de brûlure était plus intense et a duré entre 5 et 10 minutes. De nouveau, la douleur est largement supportable. Ensuite, pendant trois à sept jours, des taches rougeâtres sont restées sur la peau. Ces taches ne sont que superficielles et indolores, il subsiste tout de même une légère sensibilité à la chaleur.
Alors voilà, si cela a pu vous donner une idée des effets des toxines sur la peau, tant mieux. Il est impératif d’éviter tout contact avec les yeux. C’est généralement facile à éviter. Mais si des enfants manipulent ces animaux, veillez à ce qu’ils ne se frottent pas les yeux ou, mieux encore, faites-leur porter des lunettes de protection pour prévenir tout accident. Si jamais les yeux sont touchés, rincez abondamment à l’eau du robinet et à température ambiante pendant plusieurs minutes, jusqu’à que la douleur disparaisse. Personnellement, je ne tenterais pas l’expérience des toxines dans les yeux, car les effets seraient similaires à ceux observés sur une plaie, mais probablement bien plus intenses, avec un risque non négligeable de séquelles à court ou long terme.
Callipodida (phénol) :
Un genre assez commun de cet ordre, est le Callipus spp. que l’on retrouve dans les souterrains des grandes villes, comme par exemple les catacombes ou les souterrains de Paris. Mais aussi le Apfelbeckia spp., que l’on rencontre dans les grottes de l’ex-Yougoslavie, et qui a la particularité de projeter ses substances à distance.
Ils ressemblent aux Iuliformia, mais s’en distinguent tout d’abord par la présence de plusieurs trices de soie. Ensuite, ils se différencient également par la nature de leurs toxines : les Callipodida ne créent pas de quinones même si leur système de défense répulsif est très proche de celui des Iuliformia. La principale substance sécrétée par les Callipodida, par exemple le Abacion magnum, est le phénol, aussi appelé le p-crésol. Les effets sont similaires à ceux des toxines à base de quinones : elles dégagent une odeur très forte et peuvent, dans certains cas, provoquer de légères brûlures sur la peau ou les yeux.
Polydesmida (acide cyanhydrique) :
C’est l’ordre le plus riche en espèces. Ils ont des anneaux aliformes, prolongés par des carènes. Les glandes et les réservoirs des toxines sont situés dans les carènes aliformes, rappelant celles des Iuliformia mais elles présentent certaines particularités :
- Le canal excréteur est un peu différent.
- Les glandes sont généralement situées uniquement dans les derniers segments.
- Elles sécrètent de l’acide cyanhydrique.
L’acide cyanhydrique (HCN), aussi appelé cyanure d’hydrogène, est une substence volatile pouvant provoquer des problèmes respiratoires après inhalation. Il cause surtout des douleurs en cas de contact avec une plaie ou les yeux, voire même un état de cécité à court ou long terme. C’est notamment le cas du Nyssodesmus python, qui peut projeter sa substance à plus de 30 centimètres et atteindre les yeux, ce qui provoque de vives douleurs. Il faut alors rincer l’œil abondamment, pendant de longues minutes, afin de limiter les risques de séquelles à long terme.
Il faut savoir que les substances des Polydesmida ne sentent pas réellement mauvais. En réalité elles sentent presque bon. En général, elles dégagent une odeur d’amande et de fraises de bois. C’est assez étonnant pour une substance censée faire fuir les prédateurs. Il y a deux explications possibles à ce phénomène :
- Tous les animaux n’ont pas le même odorat. Il est probable que, pour certains, cette odeur soit très répulsive, alors qu’elle ne le soit pas du tout pour d’autres.
- Les Polydesmida sécrètent une substance assez puissante. Ils ont donc moins besoin de produire une substance répulsive. La douleur causée au prédateur suffit généralement à le dissuader.
À titre de comparaison, l’espèce Apheloria corrugata peut exceptionnellement produire jusqu’à 600 microgrammes de substance, soit 18 fois la dose létale pour un pigeon et 6 fois celle pour une souris de 20 grammes. Toutefois si, pour une raison quelconque, elle devait vider entièrement sa substance, elle mettrait plus de deux mois pour que son système de défense soit de nouveau opérationnel. Sa toxine doit donc être utilisée avec parcimonie et intelligence.
Glomerida (alcaloïde) :
Les Glomerida se distinguent par le fait que les gonopodes du mâle sont formés par la transformations des dernières paires de pattes en une sorte de pince appelé télopodes. Ils possèdent également un organe de stridulation, e qui permet à certaines espèces de communiquer abondamment par des sons.
La sécrétion est faite par un orifice impair par anneau, situé au niveau du dorso-médian. Les canaux ne s’ouvrent uniquement lors de la volvation, quand l’animal adopte une posture défensive. Le liquide sécrété est visqueux, translucide et apparaît sous forme de petites gouttelettes. L’aspect visqueux provient des protéines et l’effet de répulsion est dû aux alcaloïdes. Il s’agit essentiellement de quinazolinones.
L’ingestion de certains Glomerida peut entraîner la mort de souris, provoquer des vomissement chez les oiseaux ou encore causer la paralysie chez certaines araignée. Au contraire, certains oiseaux, comme le rouge-gorge familier (Erithacus rubecula) se servent occasionnellement des glomeris afin de s’épouiller le plumage, luttant ainsi contre les ectoparasite tels que les acariens ou les moustiques.
Cette technique n’est pas seulement utilisée par des Glomerida. D’autre Diplopoda sont utilisées par des oiseaux, comme des étourneaux, mais aussi par des mammifères comme des Atelidae, comme le Ateles fusciceps, des Cebidae, comme le Cebus olivaceus, certains Procyonidae, comme le genre Nasua spp. et l’espèce Nasuella olivacea, comme des Aotidae, comme des Aotus spp., des Lemuridae, etc.
Polyzoniida (terpènes) :
Les Polyzoniida se distinguent morphologiquement par leurs appendices buccaux suceurs, allongés en rostre. Leurs toxines sont composées, cette fois-ci, de terpènes. Les espèces européennes, telles que les Polyzonium germanicum, sont bien connues pour en sécréter, provoquant une forte odeur de camphre etproduisant un effet répulsif sur certains prédateurs, comme des fourmis. Les recherches ont été moins approfondies sur cet ordre, ce qui explique la relative rareté des informations disponibles à leur sujet.
Conclusion :
De manière générale, la littérature médicale ne recense que très peu de cas d’accidents impliquant les Diplopoda. Les seules brûlures occasionnées par les iulomorphes laissent sur la peau humaine des traces bénignes, comme des rougeurs ou des inflammations qui sont, en général, sans grande gravité. Seules les substances des Polydesmida peuvent causer des troubles aggravés chez certaines personnes.